EN TOUTES LIBERTÉS

C’est presque une habitude… lorsque Christophe Willem part en tournée, il fait escale à Sanary ! Il sera donc sur la scène du Théâtre Galli ce vendredi 9 novembre pour son « Rio Tour » où ses nouveaux titres côtoieront ses incontournables succès semés au fil de ses 10 années de carrière. Vous pensez bien que Cibiwaï ne manquera pas le rendez-vous et vous en rapportera ses plus belles images. Mais en attendant, vous avons l’immense privilège de vous rapporter les propos d’un artiste dont la grandeur vocale n’a d’égale que la grandeur d’âme.

Lundi 5 novembre 2018 – 13H ! Je guette -un peu fébrilement- le combiné téléphonique qui, quelques dizaines de minutes durant, me reliera à celui que j’ai vu éclore sous mes yeux ébahis, 12 ans auparavant, dans ce concours télévisé où une membre éclairée du jury a eu la bizarrerie de le surnommer « La Tortue ».
Le téléphone sonne. Christophe Willem est ponctuel. Je décroche. Christophe Willem se présente (était-ce vraiment nécessaire ?!). Je bafouille. Christophe Willem a la voix souriante. Je me lance, instantanément convaincue que cette interview fera tomber les barrières de la solennité pour laisser place à la spontanéité du libre échange.
Christophe Willem parle, raconte, se livre, mais cette fois, il raconte aussi « les autres » qui ont été pour lui une profonde et bouleversante source d’inspiration. Christophe Willem nous parle de son album Rio, sorti il y a un an et qu’il continue de faire voyager aux quatre coins de la France. Mais au bout du compte, Christophe Willem nous parle de libertés, celles qui lui ont permis d’accoucher de douze titres dont il assume avec fierté la paternité…mais surtout de ces libertés qui permettent de donner du sens à cet Amour, ce Partage et cet Optimisme avec lesquels il promet de vous accueillir vendredi prochain…
Mais soyez prévenus : cette fois vous ne viendrez pas « voir » Christophe Willem mais bel et bien « écouter » cet artiste qui a tant de choses à nous dire…

Christine Manganaro

Christine : Depuis le début de votre tournée au printemps dernier, les dates de concerts s’enchaînent – rien qu’au mois de novembre, il y en a 15 sur votre agenda, dont celle de Sanary le vendredi 9. Ce « Rio Tour » est un vrai marathon ?
Christophe Willem : Effectivement, on enchaîne beaucoup de dates depuis mars 2018, mais en fait le coup d’envoi a été donné le jour même de la sortie de l’album, le 29 septembre 2017 où j’ai démarré une résidence d’un mois dans une petite salle parisienne. À l’instar de Zazie qui avait squatté « Le Bataclan », moi j’ai investi « Les Etoiles » où je me produisais sur scène tous les soirs ! C’était une manière originale de faire découvrir au public ce nouvel album et moi, ça m’a permis de prendre mes marques. D’ailleurs, c’était assez marrant comme sensation, le fait d’arriver dans cette salle tous les soirs et d’avoir l’impression de rentrer chez moi (rires) ! Après ce mois de résidence, il y a eu le break nécessaire pour se reconcentrer sur la promo de l’album et reprendre les valises pour cette fois partir en tournée début mars.

Jouer pendant un mois, tous les soirs dans la même salle vous a-t-il permis de mieux percevoir les réactions du public et son accueil pour ce nouvel album ?
D’un soir sur l’autre, les réactions sont très différentes et ça tient à beaucoup de paramètres : un public plus jeune ou plus mature, avec un besoin d’écoute ou une envie de partager… Mais j’ai constaté qu’il y a quand même des titres qui mettent tout le monde d’accord ! Je pense notamment à Madame : ce titre-là a quelque chose de solennel qui canalise l’énergie et fédère l’ensemble du public par l’émotion ressentie…

Il y a toujours chez moi cette dualité présente en filigrane

Si on retrace votre discographie, vous avez réalisé 5 albums en 10 ans. Mais quand on parle du petit dernier, on le dit en adéquation totale avec ce que vous êtes.
Cette « adéquation » dont il est question s’explique par une raison très simple : cet album Rio c’est moi qui l’ai écrit, composé et réalisé quasi-intégralement. Mon énorme implication, du tout début de sa création jusqu’à sa réalisation, en fait quelque chose de très personnel, même si dans les textes je parle beaucoup plus de ce qui m’entoure que de moi-même.

Alors entre Inventaire et Rio, peut-on dire que vous êtes passé du Double Je au « Simple Moi » ?!?
Double Je ou Simple Moi ?… Ah, la question est complexe (rires) ! Il y a toujours chez moi cette dualité présente en filigrane, certes un peu plus gommée au fil du temps et un peu différente parce je l’exprime maintenant à travers la musique.  Mais ce « Je » est profondément marqué par la manière dont j’ai débarqué d’un coup dans ce métier, sans avoir vraiment eu le temps de m’y préparer… Je suis passé du « je vis ma passion pour la musique » à « ma passion devient mon métier ». Du coup, ce Double Je reste présent : il y a toujours cette partie de moi plutôt timide, introvertie, fuyante par rapport à ces regards qui peuvent me ramener à une période de l’enfance plus douloureuse… et en même temps, il y a l’autre partie de moi totalement assumée, qui aime aller au-devant de la scène, quitte à provoquer ou déranger un peu ! Avant un concert, et plus encore lorsque nous enchaînons la tournée, il me faut au moins 2 heures de préparation pendant lesquelles je me pose, je m’habille de mon costume d’artiste, je me remobilise pour être prêt à tout donner au public, et je deviens Christophe Willem.
Alors, Double Je ou Simple Moi comme vous l’avez dit ? (…) Et bien finalement, pour compliquer encore un peu plus les choses, je vous répondrai que mon Simple Moi est un Double Je… quoiqu’il arrive (éclats de rire).

Cette cohabitation intérieure ne doit pas être toujours simple à vivre ?!
Pour avoir une vie totalement normale, il y a un minimum d’aménagements à faire (rires). Par exemple, je vais souvent dans les mêmes restaurants, pas forcément parce que j’aime bien leur nourriture mais parce que je sais que je vais y être tranquille (éclats de rires). Finalement, ma « normalité », lorsque je suis sur scène, me permet cette proximité avec le public, cet échange simple et complice. Mais en même temps, je suis aussi l’artiste qui doit faire rêver ce même public, lui donner des ailes. Et c’est cette partie de moi qui a besoin de se révéler davantage parce qu’en dehors de la scène, je ne suis pas comme ça. Vous l’aurez compris, je suis plutôt d’une nature très calme et réservée.

 je n’ai jamais ressenti cette urgence d’écrire ou de composer à tout prix…
… Jusqu’à mon voyage au Brésil

Je reviens sur l’album Rio que vous avez écrit et composé. Pourquoi celui-ci et pas ceux d’avant ? Les 10 ans écoulés entre le début de votre carrière et la sortie de cet album étaient nécessaires pour franchir cette étape de la paternité ?
Déjà, sur l’album précédent, Paraît-il, j’avais écrit pas mal de textes aux côtés de Frederika Stahl qui m’a encouragé à continuer dans ce sens. Mais pour être honnête, depuis le début j’adore m’entourer de gens que j’admire et qui me composent des choses sur-mesure par rapport à ce que je leur inspire. On passe énormément de temps ensemble, que ce soit avec Carla Bruni ou Zazie pour ne citer qu’elles… car elles ont besoin d’être au cœur de ce que je vis au moment où je fais un album pour qu’elles en soient les vraies dentelières ! Tout ça pour dire que je n’ai jamais ressenti cette urgence d’écrire ou de composer à tout prix…
… Jusqu’à mon voyage au Brésil, lorsque je suis parti chanter pour le Club France lors des Jeux Olympiques à Rio. Et là, j’ai été littéralement bouleversé, autant par cette misère et cette violence latente que par cette boule d’énergie, cette espèce de magie de la Vie qui, quoiqu’il arrive, prend toujours le dessus.

je me dis qu’il manque quand même une certaine marge de manœuvre !!

Et vous n’auriez pas pu ressentir ce même bouleversement en France qui devient de plus en plus un pays de contrastes à bien des égards ?
Si l’on prend l’exemple des élections brésiliennes en ce moment, on parle quand même d’un pays où il y a l’obligation du droit de vote. Or, plus de 46 millions de personnes ne sont pas allées voter !! Le Brésil, c’est ça… Le côté « on a jeté l’éponge » et en même temps « cette force de vivre ». Et c’est tellement aux antipodes de ce que nous vivons en France où tous les quatre matins, un expert vient nous expliquer que l’avenir va être dramatique, que le prix de l’essence n’arrêtera jamais de monter… bref on est dans une projection permanente de nos propres angoisses, ce qui à mon sens est aussi le syndrome des pays riches…

Et finalement, ma vraie question qui est devenue en quelque sorte le fil rouge de mon album Rio c’est : comment s’épanouir totalement quand on est submergé par le dogme de l’Image qui vous montre et qui vous explique comment il faut être. Face à ces discours de spécialistes qui veulent vous démontrer que votre vie est formatée et bouclée pour les 20 prochaines années, je me dis qu’il manque quand même une certaine marge de manœuvre !!

Et c’est à travers votre album que vous espérez trouver cette « marge de manœuvre » ?
Je voulais qu’il respire cette profonde liberté qui nous manque de plus en plus, cette liberté d’être soi-même, de vivre et de créer son propre avenir… voilà ce qui me tenait profondément à cœur. Et comme cette inspiration m’est venue là-bas, à Rio, j’ai commencé à écrire quelques textes sur place. Du coup, lorsque je suis rentré, la suite a découlé naturellement et c’est comme ça que je me suis retrouvé à écrire la majorité des chansons. Mais j’ai aussi co-écrit avec Igit qui s’est révélé un complice prolifique. Enfin, en résumé, cette « paternité » comme vous dites, n’a pas été une volonté réfléchie, anticipée… mais bel et bien un concours de circonstances et d’émotions !

Ce qui sous-entend que pour vos projets, vous ne resterez pas forcément le seul maître à bord de vos compositions ?
Cet album m’a permis de montrer que j’étais capable d’écrire, de composer, de réaliser et j’en ai tiré une satisfaction personnelle en le portant jusqu’au bout. C’est très « gratifiant ». Mais je vais vous faire un aveu : je n’aime pas faire deux fois les mêmes choses ! Donc le prochain album pourrait être totalement différent. Je reste complètement ouvert à toutes les opportunités et les projets de collaboration.

la Liberté, ce n’est pas juste un concept, c’est quelque chose qui se travaille et qui se mérite chaque jour

 Vous parliez tout à l’heure de liberté, mais il y a quelques morceaux où de liberté il n’est pas vraiment question, notamment Madame que vous dédiez à la mère d’Imad Ibn Ziaten…
Madame fait partie d’un trio de chansons qui posent des questionnements très forts, voire dérangeants. Restart parle du fait que tout va trop vite et que l’on se retrouve dans une situation mondiale étouffante. Et la question posée est : plutôt que de vouloir toujours tout rafistoler, ne pourrait-on pas faire un retour en arrière et repartir sur des bases plus saines ? Loue Ange parle de la dérive communautariste, de ce repli religieux et identitaire…
Quant à Madame, cette chanson évoque le combat de Latifa Ibn Ziaten, une maman qui a connu le pire en perdant son fils Imad, assassiné par le terroriste Mohammed Merah en mars 2012. À travers ce texte, je veux montrer que, même anéanti par une douleur intolérable, on peut rebondir et transformer cette extrême souffrance en quelque chose d’ultra positif pour le mettre au service des autres, de l’Homme et de l’Humanité et ne pas donner du crédit à ceux qui essayent de nuire à ses fondements. Cette mère avait deux options : soit se taire et d’une certaine manière mourir une seconde fois, soit réussir à transformer cette souffrance en une véritable énergie positive pour qu’il n’y ait pas un deuxième Mohammed Merah. Finalement à travers ces titres, le message fort que j’essaye de porter c’est que la Liberté, ce n’est pas juste un concept, c’est quelque chose qui se travaille et qui se mérite chaque jour.

Je comprends mieux après cet échange pourquoi on dit de cet album qu’il est résolument optimiste !
Pour finir, au regard du style musical pop-dance qui rythme vos musiques, l’idée de composer un album en anglais vous a déjà effleuré l’esprit ?
Ah, ça aussi c’est compliqué (rires). En fait, quand vous êtes installé et catalogué comme artiste de variété française depuis pas mal de temps, débarquer subitement avec un album en anglais -à part si c’est un concept de reprises par exemple- médiatiquement parlant ça donne une image à connotation prétentieuse ! Ce que personnellement je trouve assez incompréhensible. Alors que si vous êtes « new comer » c’est-à-dire un artiste qui émerge, il y a une tolérance beaucoup plus grande parce qu’on sait qu’il y a potentiellement beaucoup plus de chances de faire entendre sa musique en anglais plutôt que de « s’enfermer » dans la langue française plus restrictive…
Moi, je pense que je me situe entre les deux. J’adore chanter en anglais parce que c’est une langue beaucoup plus ouverte, le chant devient un instrument à part entière qui joue avec les autres alors que dans la langue française, la voix est toujours plus devant, plus associée à une sorte de poésie chantée.
Mais une fois encore, dans cet album j’ai écrit des textes qui me tiennent vraiment à cœur, et j’aurais été déçu ou frustré que les gens ne les comprennent pas s’ils avaient été en anglais. Mais je suis convaincu que les deux peuvent parfaitement cohabiter avec des titres beaucoup plus axés sur la musicalité et d’autres sur les propos… Donc ça laisse la porte grande ouverte pour plein de nouveaux projets !

Retrouvez ici toutes les photos réalisées sur le concert au Théatre Galli par Christine Manganaro