Chanter libre pour la liberté de chanter

Daniel Guichard est, pourrait-on dire « la force tranquille » de la chanson française ! Voilà un artiste qui, même s’il ne compte pas les années, affiche à son compteur près de 50 ans de « carrière » (même si l’homme n’apprécie guère le terme…) ! Sans déchaîner l’hystérie de ses fans, Daniel Guichard a toujours éveillé l’affection d’un public qui lui reste fidèle, de génération en génération. 

daniel guichard photo presse 01Dire de Daniel Guichard qu’il est un chanteur populaire est un « statut » que l’artiste revendique fièrement dès lors qu’il en a fait le choix ! Le choix d’une liberté qu’il assume depuis 40 ans en produisant et distribuant ses albums, mais pour laquelle il a parfois payé le prix fort… Qu’importe, sa richesse ne tient pas au poids de son porte-monnaie mais à cette indépendance qui le tient toujours en haleine : avoir la liberté de ses choix et les assumer quoiqu’il arrive !

Loin du milieu du show bizz, des trépidations parisiennes, exilé dans une petite ville de l’Hérault où il s’est construit son havre de paix familial, Daniel Guichard n’en reste pas moins un artiste de son temps puisque le temps n’a pas d’emprise sur des chansons qui font résolument partie de notre patrimoine culturel. Qui n’a pas un jour fredonné la mélodie de « Faut pas pleurer comme ça », chanter le refrain de « La Tendresse », verser une larme d’émotion sur « Mon Vieux » ou taper le rythme sur « Le Gitan » ? C’est ce que feront en tout cas les spectateurs du Théâtre Galli le 21 novembre prochain. Un concert qui aura un goût tout particulier, puisque, ce jour-là Daniel Guichard fêtera à leurs côtés ses 67 printemps !

Christine : Je voudrais que l’on profite de votre prochaine venue à Sanary pour retracer brièvement vos 50 années de carrière… 50 ans, c’est bien le compte ?

Daniel Guichard : Je n’en sais rien ! (rires). Attendez que je me souvienne… le contrat chez Barclay date de 1966, donc c’est bien ça, bientôt 50 ans. Mais mes premières tournées de spectacles ont commencé au début des années 70. Avant, je ne faisais que du cabaret.

Bon, puisque nous sommes d’accord sur le compte, quel regard portez-vous sur tout ce chemin parcouru ?

Je ne regarde jamais en arrière… ou très peu ! Donc pour moi le passé n’est pas très important. J’ai réussi des choses…j’en ai raté pas mal aussi ! Mais comme on dit, on se construit aussi par les erreurs. Alors en résumé de ces 50 années, je dirais simplement que j’ai eu la chance extraordinaire de pouvoir faire ce que je voulais !

Il faut dire que vous vous en êtes donné les moyens ! Assez rapidement, vous vous êtes émancipé du milieu du « show bizz » en créant votre propre label et votre propre structure de production… Pourquoi ?

Tout à fait ! A mes débuts, entre 1966 et 1972 j’étais artiste chez Barclay ! Lorsqu’en 1972 j’ai proposé « Mon Vieux », le directeur artistique de Barclay à l’époque m’a dit « on te laisse enregistrer mais ça ne marchera jamais parce que c’est mauvais » !! A ce moment précis, je me suis senti en décalage et à ma demande, nous avons, Barclay et moi, déchiré mon contrat d’artiste. Je suis donc devenu producteur mais toujours distribué chez Barclay, et j’y suis resté jusqu’à la fin des années 80.

Je ne suis pas le plus riche du métier, mais je suis le plus libre et ça me convient bien

Et ensuite ?

Lorsque Barclay a vendu son affaire au groupe Philips, deux possibilités s’offraient à moi : soit trouver une autre maison de distribution, soit monter mon propre réseau. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à distribuer mes disques aussi ! Vous disiez tout à l’heure que je m’en suis donné les moyens… non, pas vraiment ! J’ai juste décidé que j’allais le faire, mais c’est très compliqué et très coûteux. En fait, je ne suis pas le plus riche du métier, mais je suis le plus libre et ça me convient bien, moi qui ai toujours eu le goût de la liberté ! (rires).

Le prix à payer pour être libre et indépendant… ce n’est malheureusement pas le cas pour de nombreux artistes qui payent aussi, d’une autre façon, leur aliénation au système actuel ?

Oui tout à fait ! Et ça peut faire de très gros dégâts parmi ces victimes du système où l’artiste est avant tout un bien instantanément consommable ! Je ne les envie pas mais il faut savoir aussi que la liberté de création n’est pas toujours synonyme de réussite !  Lorsqu’on est indépendant, on fait souvent beaucoup de conneries, dans les choix de chansons, dans les choix marketing et commerciaux ou autres… Il faut donc quand même apprendre à bien s’entourer…

Et vous, aujourd’hui, vous êtes indépendant et bien entouré ?

Très peu mais très bien entouré oui ! J’ai la chance d’avoir, parmi mes enfants, trois d’entre eux qui se passionnent pour la production de spectacles, la musique et la communication ! C’est donc devenu une affaire de famille, et ils n’hésitent pas à me remettre dans le droit chemin lorsque je pars de travers (rires). Ça ne veut pas dire qu’ils ont toujours raison… mais quand même, souvent je tiens compte de leurs avis si les arguments sont justifiés et intelligents !! (rires).

il faut toujours se laisser une marge d’erreur pour une chanson

Incontestablement, vous êtes un vrai chanteur populaire, avec de nombreuses chansons qui appartiennent à notre patrimoine culturel. On a donc le sentiment que votre parcours a été une grande réussite. Or vous parliez tout à l’heure de vos succès mais aussi de vos échecs. Que considérez-vous comme des échecs ?

Qui ne connaît pas d’échec ou ne fait pas d’erreur dans sa vie ? Moi j’ai donc connu les miens, comme tout le monde mais ce n’est pas très important… Il y a eu, par exemple, des mauvais choix de collaboration dans le milieu de la production et de la distribution, avec des personnages pas toujours fréquentables ou du moins très incompétents. Et il n’y a rien de pire que des gens incompétents ! Il y a eu aussi des erreurs sur la conception de certains albums. Sous prétexte d’être toujours pressé, ou de faire plein de choses en même temps, il m’est arrivé de bâcler un peu des orchestrations, des chansons. Or, il faut toujours se laisser une marge d’erreur pour une chanson : vous la faites et vous la mettez dans un coin pour l’écouter plus tard. Parce que, sur le moment, vous pouvez la trouver formidable mais deux ou trois semaines plus tard, vous la trouvez nulle ! Quand je dis nulle ça veut dire qu’elle n‘est pas expressive ou qu’elle ne vous touche plus.

l’avantage d’être son propre producteur, c’est qu’on fait les choses avec son propre argent !

daniel-guichard_photopresse 01En revanche, il y a des chansons qui 30 ou 40 ans plus tard, vous touchent toujours autant ! C’est le cas de nombreux de celles qui ont fait vos succès. Vous prenez toujours autant de plaisir à les interpréter ?

Celles-là ont évolué au fil des années dans leurs orchestrations et je les fais de plus en plus dépouillées, mais je les chante toujours avec autant de plaisir. Je ne fais pas partie de cette catégorie d’artistes qui renouvellent leurs styles sans cesse. Immanquablement dans la salle, certaines personnes ne sont venues que pour écouter une, deux ou trois de mes chansons ! Que vous le vouliez ou non c’est comme ça. Ces gens ont aimé mes chansons il y a 40 ans, et quand ils viennent me voir, ce serait aberrant pour eux de ne pas m’entendre chanter La Tendresse, Faut pas pleurer comme ça, Mon Vieux, Je t’aime tu vois… Sur environ 25 morceaux dans un tour de chant, il y a toujours cette dizaine de chansons qui sont entrées dans la mémoire collective de certaines familles. Donc, il y a des parents qui ont aimé ça, qui les ont fait supporter à leurs enfants qui eux-mêmes les ont fait supporter à leurs propres enfants… (rires). Moi quand j’étais môme, c’était Piaf !

Ça vous a d’ailleurs inspiré pour faire un album de reprises des chansons de Piaf ! Plus généralement, à vos débuts, vous repreniez des titres d’Aristide Bruand, un chansonnier des années 20. Vous avez aussi repris pas mal de titres de Maurice Chevalier, Charles Trenet. Vous avez toujours été très attiré par ces gens du music-hall ?

Je vous explique une chose simple : l’avantage d’être son propre producteur, c’est qu’on fait les choses avec son propre argent ! Ça marche, c’est bien ; ça ne marche pas, tant pis pour votre porte-monnaie, mais quoiqu’il en soit, vous l’avez fait !

Donc moi, très souvent, quand je sortais un album, je sortais aussi en parallèle des reprises d’artistes que j’admirais. J’ai fait un album de chansons de Maurice Chevalier l’année où j’ai sorti Le Gitan. J’ai fait un album de Piaf dans les années 70. J’ai chanté Ferré, Fugain, Sardou…

lorsqu’on a des idées, il vaut mieux commencer à les réaliser plutôt que d’en parler !

Et est-ce qu’il y a encore des artistes qui manquent à ce répertoire ?

Oh oui ! Et vous savez, j’ai toujours plein d’envies et plein d’idées en tête… que je ne vous dirai pas…

Dommage…

Et oui, mais je me suis aperçu que lorsqu’on a des idées, il vaut mieux commencer à les réaliser plutôt que d’en parler ! (rires)

Alors parlons de ce qui n’est plus un projet, mais une réalisation : votre nouvel album « Notre HIstoire » et une grande tournée qui a démarré en 2015 et qui se prolongera en 2016 dans les Zenith de France. Cette dimension ne vous gêne-t-elle pas, vous qui êtes plutôt un habitué des salles comme l’Olympia ?

En fait, les Zenith ne concernent que la province car l’avantage, c’est qu’ils sont modulables et que vous pouvez gérer aussi bien 1 500 que 4 000 places. Et lorsqu’on est dans la formule « band » avec 13 musiciens, plus les techniciens, il y a un 40 tonnes et presque 35 personnes qui débarquent ! Ça peut donc devenir assez délicat, voire irréalisable pour certaines petites salles. En plus, moi je ne me déplace jamais sans mon camping-car immense, qui fait 10 mètres de long et pèse presque 10 tonnes. Donc il faut pouvoir garer l’engin !

j’ai passé plus de temps dans ma voiture que dans mon lit !

Vous parlez de votre camping-car. Je voudrais faire un aparté à ce sujet car aujourd’hui, votre camping-car est devenu LA solution à votre phobie des voyages qui a été pour vous assez difficile à surmonter durant votre carrière…

Exactement !  Durant les années 70 et 80, j’ai fait TOUTES les villes, tous les lieux de vacances, toutes les places de tous les endroits où l’on pouvait chanter dans la France entière ! Certaines années, j’ai fait jusqu’à 195 ou 200 spectacles. Donc j’ai passé plus de temps dans ma voiture que dans mon lit ! J’ai fini, c’est vrai, par avoir une phobie particulière, d’autant que je suis d’un naturel plutôt casanier et que je n’aime pas ni voiture, ni les voyages !! Je suis parti de Paris parce que les murs n’étaient pas extensibles et que pour faire 15 kilomètres, il fallait une heure. Mais mon problème n’était pas tant les déplacements que tout le reste : quand vous partez faire le chanteur, vous devez emmener vos guitares, vos costumes de scène, vos affaires, bref, votre vie ! Et vous passez votre temps à trimbaler tout ça du coffre à la loge, de la loge au coffre, du coffre à l’hôtel, de l’hôtel au coffre… Bref, tout ça m’a d’abord gonflé, puis m’a traumatisé ! Alors, j’ai trouvé la solution à mon problème en achetant un camping-car. C’est ma maison, ma loge, ma chambre, mon bureau, mon chez moi. C’est tout quoi ! Mon pote Gérard Lanvin a le même…

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous pousse ?

Ce qui me pousse et ce qui m’amuse, c’est que je continue à faire ce que je veux ! Si je n’ai plus envie de le faire, je m’arrête. D’ailleurs ça m’est déjà arrivé…

Oui effectivement… vous avez connu une période à vide ?

Au milieu des années 80 et 90, il m’est arrivé de lever le pied, mais essentiellement à cause du système d’organisation autour. Aujourd’hui, je n’ai plus ce problème.

Avec « Notre Histoire », il n’est pas question de regarder dans le rétroviseur avec des formules toutes faites.

Revenons à votre album « Notre Histoire ». Vous disiez au début de notre entretien que vous ne regardiez pas le passé. Mais si on ne regarde pas le passé, ça veut dire qu’on n’a pas d’histoire à raconter ?!…

Si ! J’ai toujours les espérances qui me tiennent en haleine, et les histoires présentes de la vie de tous les jours qui sont en permanence des sources d’inspiration pour faire de nouvelles chansons qui me touchent, et donc qui toucheront peut-être les gens qui les écouteront. Avec « Notre Histoire », il n’est pas question de regarder dans le rétroviseur avec des formules toutes faites.

L’amour, la séparation, la disparition de gens qui vous sont chers… tout ce que vous avez chanté jusqu’à présent, ce sont toujours les mêmes choses qui vous animent ou votre regard a changé ?

Le regard évolue toujours, mais ce que vous venez d’évoquer, c’est à peu près l’ensemble de ce que l’on peut vivre au quotidien. L’amour, les inquiétudes, les chagrins, les disparitions, les espérances, c’est ce qu’on appelle LA VIE… que je regarde à ma façon.

Mais quand on a…bientôt 67 ans, est-ce que cette vie on la regarde avec plus de sagesse, de compréhension, de compassion ?

La meilleure façon de voir la vie, c’est d’essayer de garder le plus de sérénité par rapport aux coups qu’on prend sur la gueule ! Pour moi, la sérénité c’est de se dire que ce qui vous arrive c’est de votre faute. Et même quand ce sont les autres qui vous font du tort ! On gagne du temps c’est-à-dire qu’à partir de là on se déglingue un peu moins la tête…

Vous citiez tout à l’heure votre pote Gérard Lanvin, aux côtés duquel vous avez tenu, il n’y a pas très longtemps, un petit rôle au cinéma dans « Bon rétablissement ». Est-ce que le cinéma fait partie des projets d’avenir pour vous ?

Non, pas du tout ! Et ce n’est vraiment pas mon univers. C’est trop sérieux ! (rires). Pour être acteur, il faut avoir plein de qualités que je n’ai pas, et que je n’ai pas envie d’avoir ! Et puis, il faut aussi avoir une disponibilité de temps que je n’ai pas du tout. J’ai beaucoup d’admiration pour les acteurs mais je ne me sens absolument pas capable de passer des semaines et des semaines à faire des tournages… Non, moi mes projets d’avenir sont ailleurs, mais une fois encore, je ne vous les dévoilerai que lorsqu’ils seront réalisés !!

Retrouvez toutes les photos du concert réalisées par Yann Etesse

Daniel Guichard sera en concert
au Théâtre Galli de Sanary/Mer
Samedi 21 novembre 2015 à 20H30
Tarif: 44 Euros
Renseignements : 04 91 80 10 89
Locations : Points de vente habituels