« La musique, les voyages et l’observation, c’est ce qui nourrit ma vie»

On le Djeli_Moussa_Cond+®_250715-1021Gsurnomme le « griot de Ménilmontant », un sobriquet évocateur de son histoire quelque peu atypique et surtout de son appartenance à l’Humanité, pour laquelle il a choisi de se battre… à sa façon ! Djeli Moussa Condé est un citoyen du Monde et, en sa qualité de Griot, aspire à le rendre meilleur, en transportant par sa musique des messages de paix, d’espoir et de tolérance. Des messages qu’on reçoit en pleines oreilles et en plein cœur lorsqu’on voit l’artiste et ses musiciens complices sur scène. Djeli Moussa Condé est un groupe, une communauté, une famille… qui déborde de passion, d’énergie et de générosité. Comme le dit son leader, « nous vivons notre musique pour le plaisir de  la partager ». En les découvrant, on ne peut qu’en être convaincus !

 

Christine : Djeli, tu es originaire de Guinée Conakry et issu d’une famille de Griots. Peux-tu nous en expliquer toute la signification ?

Djeli : Le griotisme se transmet de père en fils, de génération en génération. Dans la civilisation africaine, chacun a son rôle : les forgerons, les cordonniers… et les griots. Autrefois, seuls les griots chantaient et jouaient d’un instrument pour transmettre oralement les légendes, les coutumes, les cultures. Chaque génération de griot vit son époque, son histoire, et moi je suis en train de faire la mienne. Mais aujourd’hui, mon griotisme va au-delà de la transmission traditionnelle, car le monde est menacé, et notre mission est de le défendre en nous battant pour la paix…

Tu veux dire qu’avant, les griots transmettaient des légendes et qu’aujourd’hui, ils ne peuvent ignorer la réalité du monde pour essayer de le préserver ?

C’est ça. Nous sommes des griots de la Terre et il faut avoir conscience de tout ce qui la menace. Aujourd’hui, les griots sont investis de missions encore plus importantes et la mienne est de chanter pour la paix, la tolérance et l’espoir d’un monde meilleur. C’est quand les oiseaux sont nombreux qu’on les entend s’élever dans le ciel. Et bien, nous les griots, c’est ensemble que nous pouvons élever nos convictions. On ne va pas changer le monde car nous ne sommes que des êtres humains et nous faisons des erreurs. Mais tous ensembles, nous formons l’humanité et l’humanité peut vaincre les massacres et les dangers.

Tu pDjeli_Moussa_Cond+®_250715-1015Garles de l’Humanité. Et d’ailleurs, tu l’évoques beaucoup dans tes chansons. Est-ce justement parce que ce brin d’humanité t’a sauvé lorsque tu es arrivé en France ?

Quand je suis arrivé en France, en 1993, dans le quartier de Ménilmontant (d’où mon surnom), je n’avais pas de papier pour y séjourner. Je suis allé en prison pendant un mois et cinq jours… Des jours que tu comptes et décomptes tant ils sont longs. Avec le soutien de Bernadette Lafont, ma marraine, j’ai fini par obtenir un titre de séjour. Et depuis, je n’ai plus quitté mon pays d’adoption. Mais cette expérience difficile m’a donné envie d’aider d’autres musiciens dans la même situation. Et, c’est pour cela que j’ai participé à la création de l’association « Musiciens sans frontière » qui soutient d’ailleurs tous les artistes immigrés, même s’ils ne sont pas musiciens.

Non seulement la kora fait partie de ma vie, mais c’est elle qui me fait vivre !

On te connait pour tes talents de compositeur, chanteur et guitariste, mais tu as aussi la réputation d’être un très bon joueur de Kora, un instrument aux valeurs ancestrales et spirituelles très fortes ?

Je suis issu d’une famille où la musique a toujours été très présente. Elle coule dans mes veines. Mon père jouait du Balafon et du N’Goni, mon grand frère de la guitare acoustique, mais aucun ne jouait de la Kora. A l’âge de 7 ans, je suis parti en Gambie, non pas pour apprendre la Kora, mais le Coran !! (rires)  Un jour, j’ai vu deux vieux débarquer au village avec une kora sous le bras, et ils sont venus saluer le marabout chez qui j’étais. En les écoutant jouer, j’ai été véritablement bouleversé par le son et les vibrations de cet instrument. Pour moi, ça a été une révélation. Je me suis dit « voilà, c’est ça que je veux jouer ». Avant, la kora était effectivement un instrument ancestral réservé à quelques sages. Mais aujourd’hui, la kora se démocratise, et on la découvre un peu partout dans le monde, un peu comme le djembé il y a quelques années. Bref, mon maître de kora, Lamine Sissoko, m’a enseigné cet art pendant quatre ans, mais aussi tout l’esprit qui va avec, la discipline, le respect. Depuis, non seulement la kora fait partie de ma vie, mais c’est elle qui me fait vivre ! (rires). L’Unesco m’a décerné le diplôme de participation au premier Festival de Kora d’Afrique de l’Ouest à Conakry. Ensuite, je suis parti à l’aventure, durant plusieurs années, à travers l’Afrique de l’ouest : la Gambie, le Sénégal, le Mali… jusqu’à ce que Souleyman Koly me repère sur Abidjan. A partir de 1989, je suis devenu auteur-compositeur de l’ensemble Kotéba d’Abidjan et j’ai participé à de belles tournées internationales. J’ai accompagné beaucoup de groupes mais aussi, en duo, des ballets de danse contemporaine, des troupes de théâtre…

Après aDjeli_par-Doddy_01voir composé quatre morceaux pour «Waramba », le premier Opéra mandingue primé au Festival d’Avignon en 1993, tu décides de venir t’installer à Paris. Pourquoi ce choix ?

D’abord, je viens d’un pays francophone et je me sens forcément plus proche de la France que d’un autre pays. Ensuite, il y a en France, une immense communauté africaine. Enfin, c’est aussi un choix artistique car il y a en France une immense richesse musicale.

Chaque composition est une inspiration, une histoire

En parlant justement de richesse musicale, on ressent bien sûr les influences traditionnelles dans ta musique, mais tu es aussi très ouvert à plein d’autres influences electro, blues, jazz… Tu as d’ailleurs collaboré avec plein d’artistes dans des univers très différents : Richard Bona, Alpha Blondy, Césaria Evoria, Mory Kante, Manu Dibango et bien d’autres encore. Aujourd’hui comment tu définirais ta musique ?

Justement, on ne peut pas vraiment définir ma musique ! (rires). Comme je suis auteur-compositeur, chaque composition est une inspiration, une histoire. Je ne sais pas… peut-être que demain ferai un album reggae, ou un autre avec que des violons ! En fait, tout est possible pour moi et ma musique se construit au gré de mes rencontres. J’aime découvrir d’autres musiques, d’autres artistes mais aussi d’autres cultures à travers mes voyages dans le monde. J’ai parcouru 7 000 kilomètres, depuis le Brésil jusqu’au Salvator de Bahia. Et dès que j’arrivais dans un nouveau pays, la première chose que je faisais, c’était de m’approcher de ses habitants pour m’imprégner de leur culture, de leur folklore. C’est comme goûter leur cuisine. La musique, les voyages et l’observation, c’est ce qui nourrit ma vie. Et, c’est une vraie source d’inspiration pour mes compositions.

Tu fais de la musique depuis très longtemps et pourtant, ton premier album n’est sorti qu’en 2012. Pourquoi avoir mis tant de temps ?

J’avais enregistré, en 1992-93, une première cassette (rires) avec un producteur africain. Mais, ce n’était que de la musique traditionnelle : kora, balafon… Cet enregistrement a très bien marché, mais à cette époque je n’avais pas de papier, et je n’avais donc pas la possibilité de réaliser le moindre album. Alors, pendant de longues années, j’ai surtout écouté, composé, écrit et j’ai conservé tout ça… pour plus tard !

Donc ce premier album éponyme »Djeli » était une partie de toi… une sorte de carnet intime ?

Oui, c’est ça, maiDjeli Moussa Conde Juillet 2015s ce premier album raconte aussi une histoire, celle de l’injustice, de la tricherie. Au moment où cet album est sorti, j’étais prêt à l’assumer ! D’où le nom de « Djeli » qui évoque un peu de moi, de mon vécu et de mon engagement…

 

Le second album, sorti le 10 avril 2015, s’appelle Wo’Mama. Est-ce qu’il est différent ?

Wo’Mama c’est l’hommage, un peu nostalgique, que je souhaitais rendre à mon village, là où je suis né, où j’ai grandi jusqu’à l’âge de 7 ans. Là où j’ai tous mes repères, toute ma famille. Ça fait des années que je ne suis pas retourné là-bas, alors cet album est ma façon à moi de me rapprocher de mes origines, de mon passé, de mon enfance.

Et du coup, tu renoues avec un style plus traditionnel, ou bien tu restes très éclectique dans tes approches musicales ?

Quand tu écoutes Wo’Mama, ce n’est pas typiquement guinéen. Les harmonies viennent d’ailleurs, mais la plupart des textes sont dans ma langue natale. Et puis j’ai la chance que mes morceaux soient joués par de très bons musiciens.

Nous formons une vraie famille, animée par une véritable complicité et une envie de partage

Alors Djeli_Moussa_Cond+®_250715-1339Gjustement, parlons de ceux qui t’accompagnent depuis le début de cette aventure Djeli Moussa Condé…

Plus que des musiciens qui m’accompagnent, ce sont des amis qui m’entourent… Nous formons une vraie famille, animée par une véritable complicité et une envie de partage.  Pour les présenter, je vais commencer par Vincent Lassale, le percussionniste du groupe mais qui est surtout la première personne que j’ai rencontrée et qui a aimé ma musique au point de vouloir la produire. C’est donc avec lui que sont nés mes deux albums. Il est aussi le manager du groupe, assisté par Renaud qui joue de la flûte traversière et de la flûte malinké. Ensuite, il y a Ioni, notre bassiste finlandais de Laponie, qui a fait également toutes les guitares sur l’album. Depuis peu, nous avons accueilli un jeune batteur, Olivier. Et puis il y a ma petite sœur qui nous fait occasionnellement les chœurs.

Ce qui est assez surprenant, c’est que parmi les musiciens qui t’accompagnent, aucun n’est africain…

Moi tu sais, je ne vois pas la couleur de peau. D’ailleurs, ma femme Emilie est blanche et mes enfants métisses… Pour moi, ce qui compte c’est l’être humain, son cœur, son âme, son esprit…

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Avant de monter sur scène, qu’as-tu envie de dire à ton public qui est venu pour toi, pour ta musique et pour les messages d’espoir qu’elle porte ?

Que tous ces moments n’existent que parce qu’ils sont partagés par des êtres humains. La musique est le trait d’union entre tous les Hommes, un petit bout d’histoire. Une histoire d’Hommes, comme toutes celles qui devraient écrire chaque page de notre monde.

 

Retrouvez l’ensemble des photos du concert (vu par Yann Etesse, par Christine Manganaro et par Pascal Léger)