LA MEILLEURE DU PIRE

Un soir de novembre, au hasard d’un zapping télévisuel comme si souvent désabusé,  je tombe sur une jolie petite gueule d’ange, dont l’apparence bien trop sage… limite un peu cruche, retient subitement mon attention, ou plutôt attise ma curiosité !
Et là, comme les 2.5 millions de téléspectateurs de l’émission “La France a un incroyable talent”, j’assiste médusée à “la mutation” d’une créature dont l’enveloppe charnelle  immaculée expulse un magma de paroles bouillonnant d’impudence… Sans se départir au grand jamais de ce sourire naïf et charmeur, la diablesse provoque, choque, entrechoque, harpaille, manie l’irrévérence et la grossièreté avec une grâce et une innocence déconcertantes

Avec Laura Laune le combat est perdu d’avance : on est possédé par la démone, on meurt de rire et on brûle de succomber une fois encore à son châtiment ! Alors vous pensez bien qu’en apprenant que cette invocation allait être exaucée le Vendredi 24 Novembre 2017 dans les entrailles du Casino des Palmiers, je n’ai pu résister à la tentation d’en savoir plus et de découvrir qui, de l’ange ou du démon, habitait VRAIMENT cette humoriste belge.

Après 30 minutes d’entretien téléphonique privilégié, ponctué d’esprit et d’humour, de franchise et d’authenticité, mon opinion est résolument faite… À vous de vous faire la vôtre avec cette interview inédite Cibiwaï, et surtout de signer un pacte qui vous plongera dans l’enfer du rire dont vous ne ressortirez pas indemne, mais tellement plus joyeux !

Christine Manganaro

On apprend dans votre bio que vous avez pratiqué notamment le théâtre, le piano et la danse depuis votre tendre enfance. En résumé, vous étiez de toute façon prédestinée à devenir une artiste ?
Laura Laune : C’est vrai que depuis toute petite, tout ce qui touche à l’Art m’attire, m’intéresse. Dès que j’en avais l’occasion, je m’inscrivais à toutes sortes d’activités : dessin, danse, musique et surtout le théâtre qui me plaisait tout particulièrement… Pourtant, je ne suis pas née du tout dans une famille d’artistes. Mon père est médecin, ma mère est pharmacienne. Pour eux, il était évident que je devais faire de “vraies études sérieuses” et ils ne voyaient pas d’un bon œil mes aspirations artistiques (rires) !! Alors, pour suivre leurs recommandations et les rassurer, j’ai suivi des études d’architecture (il y avait un côté artistique quand même !). Mais en parallèle, je passais plein de casting pour jouer dans des pièces, pour des petits rôles au cinéma, je faisais plein de trucs…

C’était pourtant une évidence pour vous ? En faisant du théâtre, vous saviez que c’était votre voie ?
Oui, absolument. Je l’ai su d’ailleurs le jour où je suis montée sur scène pour la toute première fois. Je me suis dit : “c’est exactement ça que je veux faire” et je n’ai jamais lâché mon rêve. Mais j’étais aussi passionnée de musique. Et d’ailleurs, je suis contente d’avoir pu intégrer une petite touche musicale à mon métier d’humoriste, en jouant d’un instrument sur scène par exemple.

Oui, alors… pour être honnête, au niveau de la guitare… pour l’instant, heu… comment dire…
J’y suis pas, hein ? C’est si catastrophique que ça ?! (éclats de rire). Il faut dire qu’à la base, je joue du piano mais c’est forcément plus compliqué à trimbaler qu’une guitare. Et comme je voulais vraiment m’accompagner en chantant sur scène, j’ai demandé à un ami guitariste de m’apprendre juste deux ou trois accords de base… Bon ok, c’est vraiment la base, j’y travaille assidument mais il y a encore beaucoup de boulot !!! Mais je compte bien progresser !

À quel moment votre vie a-t-elle basculé du côté obscurément artistique ?! Autrement dit, à quel moment avez-vous réellement décidé d’en faire votre métier ?
Au départ, peu m’importait que ce soient des tragédies ou des comédies, je voulais à tout prix faire du théâtre. Donc je prenais des cours et un jour, un prof m’a dit : ” tu sais Laura, c’est assez facile de faire pleurer les gens, mais c’est beaucoup plus difficile de les faire rire”. Cette phrase m’a profondément  marquée parce qu’elle me renvoyait directement à ma propre image : j’étais quelqu’un d’extrêmement timide, de très réservée, je faisais rarement des blagues, j’avais du mal à m’exprimer devant les autres… Et donc comme il m’était inaccessible, le rire me fascinait encore plus !
Un jour, j’ai été retenue pour jouer dans une pièce à Paris, ce qui m’a donné l’opportunité de quitter ma Belgique natale pour m’installer à la capitale et me lancer professionnellement dans le théâtre ! Mais quand les gens riaient, je me disais que ce n’était pas forcément grâce à moi parce que ce n’était pas mon texte. Et c’est là que j’ai décidé d’écrire un sketch de 5 minutes que j’ai testé sur une petite scène ouverte… Les gens ont ri, beaucoup ri, et moi j’étais transcendée par ce moment où je réalisais que cette fois, c’était vraiment moi qui faisais rire les gens ! Cette révélation a vraiment marqué le début de ma carrière d’humoriste…

Il n’y a pas si longtemps encore, j’étais très réservée. À l’école, je n’avais pas beaucoup d’amis, j’étais très solitaire et super timide.

Vous parlez de votre arrivée sur Paris. Vous êtes Belge de nationalité. Vous habitez toujours en Belgique ?
À l’époque, je vivais encore en Belgique chez mes parents. C’était un peu compliqué, mes parents ne voulaient pas me prendre un appartement à Paris, craignant que ça ne marche pas pour moi et que je rentre à la maison au bout de 2 mois !! Alors je faisais des allers-retours en voiture, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, après mes spectacles… ou bien je naviguais entre hôtels, AirB’nB et squats chez des amis… Bref, maintenant je vis principalement à Paris, mais dès que j’ai 2 ou 3 jours de libre, je retourne bien volontiers auprès des miens en Belgique.

Vous évoquiez aussi à l’instant votre timidité presque maladive ! Quand on vous voit aujourd’hui, on a quand même du mal à le croire !?
On croit souvent que les humoristes sont par nature des gens très extravertis, à faire des blagues et des bêtises en permanence. Mais ce n’est pas toujours le cas et j’en suis le parfait exemple. Il n’y a pas si longtemps encore, j’étais très réservée. À l’école, je n’avais pas beaucoup d’amis, j’étais très solitaire et super timide. Je n’osais jamais prendre la parole en public… ça me terrifiait ! Donc forcément, j’étais pas très drôle !! (rires)

L’humour et la comédie ont été pour vous une sorte de thérapie alors ? Sans aller à dire que vous étiez névrosée, ça vous a permis de changer votre rapport aux autres ?
Disons que, par mon physique aussi, je faisais toujours très innocente, très gentille, très sage… Les gens avaient de moi l’image de la petite fille pas très intéressante, pas rigolote, toujours très effacée, qui n’avait pas grande chose à dire. Et c’est vrai que monter sur scène a été pour moi le moyen de prendre la parole et de révéler aux autres que je n’étais peut-être pas la personne qu’ils croyaient ! Du coup, j’ai joué de cette ambiguïté, en arrivant sur scène comme la petite fille modèle et finalement en faisant tomber le mur avec mes propos. J’ai forcé un peu le trait pour surprendre et bousculer, montrer que moi aussi j’avais des choses intéressantes à dire, et qu’en plus je pouvais être drôle… En clair, c’est pour moi l’occasion de prendre une revanche !

je ne me rendais pas compte que c’était trash, parce que pour moi, c’était évidemment de l’humour au second degré, et je ne comprenais pas que des gens puissent être réellement choqués.

Vous me faites penser à cette petite peste de Nellie Oleson dans La Petite Maison dans la Prairie !
(Eclats de rires) Oui, on me le dit souvent !

Faire rire les gens c’est une chose… plein d’humoristes s’y emploient de manières très différentes. Mais vous, c’est carrément de la provoc’, de l’irrévérence totale. Ce style s’est affirmé au fil du temps ou bien d’emblée vous avez décidé de mettre les deux pieds dans le plat ?
À vrai dire, je ne me suis pas vraiment posée de questions sur le style d’humour que je voulais adopter. Mais quand j’ai commencé à écrire, les choses se sont imposées d’elles-mêmes. Et comme vous le soulignez, je suis un peu névrosée, j’ai des drôles d’idées dans ma tête et je suis un peu fofolle, donc ça m’a pas mal aidée !! (rires). J’ai toujours eu, enfoui en moi, cet humour très cynique, très caustique et ça m’est venu tellement naturellement que même en jouant, je ne me rendais pas compte que c’était trash, parce que pour moi, c’était évidemment de l’humour au second degré, et je ne comprenais pas que des gens puissent être réellement choqués. C’est en voyant leurs réactions dans les salles que j’ai pris conscience du phénomène…

Pour boucler le chapitre de votre style et de votre physique, est-ce que vous pensez que c’est plus facile d’être diabolique quand on a une belle petite gueule d’ange comme la vôtre ?
C’est plus facile dans le sens où c’est surprenant ! Je pense que si j’étais même un homme qui débarquait vulgairement en sortant des horreurs, ça passerait beaucoup moins bien, ou du moins pas de la même façon ! C’est vrai que c’est plus facile et dans l’esprit de la plupart des gens qui me connaissent ou me découvrent, en me donnant le Bon Dieu sans confession, tout ce qui peut sortir de ma bouche n’est pas choquant.

Les gens se disent juste « cette fille est résolument barrée et qu’est-ce que c’est bon » ! Finalement, c’est presque le public le plus gêné dans l’histoire…
Voilà, c’est ça !  Comme ils me croient folle, ils me pardonnent tout…ou presque ! Quand j’arrive sur scène, les gens ne s’attendent pas à ce que je vais dire, et finalement c’est l’effet de surprise qui les fait rire au début. Après, ils se regardent, parfois un peu gênés, se demandent s’ils ont le droit de rire à ça… ont des fous rires nerveux en se cachant, ou bien dans certains couples, l’un rit et l’autre s’en offusque en donnant des grands coups de coude… Jusqu’au moment où les gens lâchent prise et là, c’est que du bonheur…

Pourquoi avoir fait cette émission « La France a un incroyable Talent » sur M6 ?
Ce sont eux qui sont venus me chercher. Au départ, j’étais un peu réticente parce que je redoutais que sur une chaîne familiale, à une heure de grande écoute, mes sketches soient au final coupés ou censurés… Ils m’ont promis que ce ne serait pas le cas et que je pouvais me lâcher. Etant aujourd’hui au début de ma carrière, cette opportunité est une grande chance et une super vitrine pour m’amener une audience… Ce qui est vraiment génial, c’est que j’ai une vraie liberté d’expression. Les professionnels et le public me soutiennent totalement. C’est la première fois que je ressens une telle adhésion. Je n’ai reçu aucun message de gens qui criaient au scandale alors qu’en général j’en ai tout le temps. J’ai reçu au contraire des tonnes de messages d’encouragement et de soutien du public.

En regardant sur le net, j’ai vu que vous aviez fait un sketch où vous faisiez référence à l’affaire Gilbert Rozon…
J’ai fait cette chanson AVANT que n’éclate le « scandale », donc je n’étais au courant de rien. Je parlais de Gilbert Rozon parce que dans cette chanson, je parlais en fait de tous les membres du jury de l’émission, de l’animateur David Ginola. Et ça a été un pur hasard que ça tombe approximativement au moment des révélations le concernant. Vu que l’enregistrement avait été fait avant le scandale, finalement on m’a dit qu’il valait mieux ne pas diffuser ce passage et j’étais en totale accord avec la production de l’émission vue la situation délicate. Cette séquence a donc été tournée, mais jamais diffusée. Autant rétablir la vérité.

les textes viennent de moi et que personne ne m’a mis des mots dans ma bouche.

Parlons un peu de votre spectacle « Le Diable est une gentille petite fille », et pour cause ! Vous l’avez co-écrit avec Jérémy Ferrari, ce qui n’est finalement pas très étonnant. Jérémy c’est quoi pour vous ? Un ami ? Une rencontre ? Une opportunité ?
Je veux juste apporter à ce sujet une précision qui me tient à cœur. Comme Jérémy est connu et réputé dans le milieu pour son humour noir, souvent les gens pensent que c’est lui qui m’a forcé un peu la main sur le fameux « style » que vous évoquiez tout à l’heure. Comme ce sont des thèmes assez engagés, je tiens à préciser que les textes viennent de moi et que personne ne m’a mis des mots dans ma bouche. Moi j’écris et j’envoie à Jérémy qui me fait ses retours.
Quant à Jérémy, ça a été une rencontre à l’occasion d’un festival Jeunes Talents. Il se trouvait dans cette salle car il y jouait le lendemain. J’ai gagné le concours et lui a adoré.  Le soir-même, il m’a proposé qu’on travaille ensemble car il cherchait à produire des artistes. Et comme j’étais déjà fan de lui avant, j’étais évidemment emballée par sa proposition. Aujourd’hui Jérémy est mon producteur, mon manager et mon metteur en scène… et c’est vraiment une grande chance !

Vous disiez que les thèmes abordés ne sont pas anodins. Sont-ils l’occasion pour vous de porter certains messages profonds ou est-ce que c’est simplement un jeu qui consiste à décaper des âmes sensibles sur des sujets qui fâchent ?
(rires) Ce sont toujours des thèmes de société qui m’ont touchée à un moment ou un autre : je parle du racisme, de l’avortement, de l’éducation, de l’adoption du mariage pour tous… En fait, je ne m’interdis aucun thème et si je vois passer une info qui me fait réagir, en bien ou en mal, et que j’ai envie d’en parler, je le traite à ma façon, avec ma vision et surtout mon second degré. Par exemple, le mariage pour tous est vraiment un thème sur lequel j’avais envie de m’exprimer parce qu’en Belgique ça a été légalisé bien avant la France et je n’ai pas compris qu’en France on puisse manifester contre ça…

J’aurais envie de vous résumer en disant : la Vie est un énorme paradoxe entre le meilleur et le pire, entre la beauté et la laideur, mais il faut surtout se méfier du meilleur…
(rires) Oui c’est une belle observation ! Ça me fait penser un peu à mon sketch sur la girafe !  Une jolie petite histoire qui a bercé mon enfance et que j’ai décidé d’arranger à ma sauce pour en faire une parodie, donner un gros coup de pied dedans.

Aujourd’hui quels sont vos rêves et vos projets ?
Mon projet c’est surtout de faire vivre mon spectacle. Je suis encore en train de le peaufiner pour arriver à une version qui me correspond à 100%, pour convaincre le public et jouer dans des salles de plus en plus grandes.
Mon rêve : me lancer dans le cinéma, écrire un film… là je travaille sur un projet que je construis petit à petit. En fait, j’aimerais beaucoup aller sur d’autres terrains que celui de l’humour et de la comédie. Avoir des rôles tragiques, sérieux… Après avoir réussi à faire rire les gens, j’aimerais voir si je peux le faire pleurer ! Ah bon, j’ai pris le problème à l’envers ?

Retrouvez toutes les photos du spectacle au Casino des Palmiers le 24 novembre 2017